Sa construction au XIVème siècle
Au moment de l’effondrement de l’Empire Carolingien (fin Xe siècle), l’Aquitaine, placée sous le contrôle nominal d’un duc, éclata en de multiples petites unités territoriales appelées comtés ou vicomtés placées sous la direction d’une famille seigneuriale. Cette fragmentation fut à son comble dans le bassin de l’Adour ; ainsi naquirent la vicomté de Béarn (Morlàas), le comté de Bigorre (Tarbes), le comté d’Armagnac. Dans des circonstances fort mal connues, la vicomté du Montanérès vint s’insérer dans cette mosaïque.
La vicomté du Montanérès et son incorporation au Béarn
Un cadet de la maison de Bigorre obtint, ou se tailla, une châtellenie autour du Mont-Aner. Quelques documents éclairent cette histoire fort obscure ; ils sont tirés du cartulaire de l’abbaye de Larreule à Saint –Orens dont l’existence souligne l’importance de cette famille seigneuriale. Dans son livre « Les Princes de Gascogne (768-1070) », Mme Mussod-Goulard montre que le Montanérès connut un moment d’apogée au milieu du XIe siècle. Ce fut une petite marche militaire entre Béarn, Bigorre, Armagnac englobant certaines terres de la Rivière-basse (vallée moyenne de l’Adour). Son relief accidenté permit la multiplication des castera, points d’appuis fortifiés, avec tours de guet en bois et palissades entourant des mottes rapportées au sommet des collines. Cette famille étendit son influence en diverses directions. Un Grégoire de Montaner fut de 1039 à 1072 à la tête de la prestigieuse abbaye de Saint-Sever de Gascogne, la plus puissante alors dans les pays de l’Adour. Le manuscrit de l’Apocalypse, un des plus beaux de ce siècle, témoigne encore du rayonnement de cette abbaye. Le vicomte de Montanérès maria sa fille avec le frère naturel du roi d’Aragon. Ce fut le point de départ de l’incorporation du Montanérès au Béarn.
Bigorre et Béarn cherchaient à faire disparaître cette marche militaire, position stratégique fort importante. Gaston V Centulle de Béarn (1058-1090), devenu par mariage comte de Bigorre, n’eut aucune peine à faire épouser à son fils, Talèse, héritière du Montanérès, vers 1085. Si en 1090 Bigorre et Béarn furent de nouveau séparés, le Montanérès fut uni définitivement au Béarn sous le gouvernement de Gaston IV (1090-1134). Ce personnage de premier plan mérita le surnom de « le Croisé » en prenant part aux prises de Jérusalem (1099) et Saragosse (1118). Cette incorporation fut à l’origine d’un tracé frontalier fort bizarre dont notre géographie départementale demeure le fidèle reflet.
Quelques villages étaient restés sous la dépendance directe des comtes de Bigorre au moment de la naissance du Montanérès, constituant un îlot entouré de tous côtés par le Béarn ou le Montanérès ; ils furent désormais enclavés au sein du Béarn. L’Assemblée Nationale Constituante ne fit pas disparaître cette situation au moment de la création des départements. De nos jours encore les communes de Luquet, Gardères, Seron, Escaunets, Viellenave-près-Béarn relèvent de la préfecture de Tarbes. Toutes les tentatives pour faire disparaître cette anomalie se sont heurtées à la résistance des « enclavés » très attachés au maintien de la tradition. Ainsi en plein cœur du XXe siècle, les limites entre les régions de programme Aquitaine et Midi-Pyrénées perpétuent le tracé des seigneuries du XIe siècle. Le rattachement du Montanérès au Béarn n’avait pas mis fin à son rôle de marche militaire
Le Montanérès du XIIème au VIVème siècles
La région fut désormais la marche orientale protégeant le Béarn face aux maisons rivales de Bigorre et d’Armagnac. En 1250, la dernière comtesse de Bigorre dicta son testament à Montaner, testament qui fut à l’origine d’une guerre inexpiable entre Béarn et Armagnac aspirant tous deux à sa succession. Le vicomte de Béarn Gaston VII Moncade (1229-1290), tout en transférant sa capitale de Morlàas à Orthez, entama la lutte et assigna parfaitement son rôle à Montaner en lui accordant une charte de franchise le 16 mars 1281 contre l’obligation d’entretenir les fossés de la ville et du château.Dès cette époque une forteresse vint couronner la colline, forteresse précédée du village qui était lui aussi sur le replat de son sommet.
Dans son testament Gaston VII Moncade faisait figurer le château de Montaner dans la liste des principales forteresses béarnaises qui ne devaient être, en aucun cas, aliénées.Ce même vicomte qui s’était assuré le contrôle de la vicomté de Marsan (le Sud-Est de l’actuel département des Landes) avait pris encore une autre décision qui marqua fortement le destin de Montaner. Il avait fait épouser à son héritière le comte de Foix ; l’union du Foix et du Béarn avait été proclamée indissoluble, ce qui interdisait leur partage entre les enfants du couple et de leurs successeurs. Plus que jamais le Montanérès jouait le rôle de chien de garde du Béarn face à la Bigorre, et, au delà, du Comminges, les séparant du pays de Foix, face aux comtes d’Armagnac qui pouvaient seuls, empêcher la constitution d’un vaste ensemble pyrénéen allant de Foix à Orthez. La construction de la forteresse dont nous pouvons encore admirer les ruines imposantes trouva sa justification au milieu du XIVe siècle dans le cadre de cette politique d’hégémonie sur les Pyrénées.
La construction de la forteresse par Gaston Fébus (1375-1380)
Le 1er janvier 1344, le jeune Gaston III de Foix-Béarn, surnommé ensuite Fébus, vint à Montaner pour prêter serment à ses nouveaux sujets et recevoir leur promesse de loyauté. Il passa la nuit dans le château de Gaston VII et n’en repartit que l’après-midi du 2 après avoir reçu de nouvelles délégations « sur la lande au bord du chemin de Morlàas «. Les habitants de Montaner et le jeune prince lui-même ne se doutaient pas qu’il allait complètement bouleverser leur existence quelques décennies plus tard.
Confronté aux redoutables problèmes posés par la guerre de Cent ans mettant aux prises les rois de France et d’Angleterre en Aquitaine, Gaston III Febus essaya d’éviter deux dangers majeurs : la dislocation du Foix Béarn (car le premier pays était de tradition française, le second de tradition anglo-gasconne), la main mise totale sur ses possessions d’un des deux clans. Il y parvint avec une habilité étonnante en faisant reconnaître le Béarn comme un Etat souverain, neutre et respecté comme tel. Mais il s’agissait d’une paix armée ; pour défendre sa neutralité il hérissa de châteaux-forts tous les confins de ses domaines. La seconde partie de son programme consista en la création d’un grand ensemble pyrénéen d’un seul tenant d’Orthez à Foix, création impliquant un préalable ; la main-mise sur la Bigorre.
Dans la perspective de ces deux desseins d’un des plus grand princes d’Occident du XIV siècle, pendant son gouvernement(1343-1391), la valeur stratégique du site de Montaner prit toute son importance, surtout dans les années 1370 lorsqu’il passa à la seconde phase de ses plans. De Montaner, il pouvait à tout moment intervenir en Bigorre prise à revers par le château de Mauvezin dont il s’était assuré le contrôle ; cette position renforçait à l’Ouest la vicomté de Nebouzan (Saint-Gaudens) également possession des Foix-Béarn.
De Montaner, Fébus pouvait lancer à tout moment une offensive contre l’Armagnac dont la maison rivale écrasée par lui cherchait à prendre sa revanche. Enfin n’oublions pas que de Montaner, il pouvait, par la vallée moyenne de l’Adour, intervenir vers Cazères-de-Marsan, et Aire-sur-l’Adour, cités du Marsan-Gabardan dont il était également vicomte. Tout ceci explique l’ampleur des moyens mis en œuvre et la rapidité étonnante, pour l’époque, des travaux. Etant le seigneur le plus riche du Midi, Fébus avait également toutes les disponibilités financières nécessaires. Quelques textes permettent de jalonner cette histoire.
Le 3 août 1374, Fébus rémunérait des «travaux au château d’Orthez et à la Tour de Montaner ». L’ancien château avait donc dû commencer à être totalement démoli, et le donjon à s’élever. Le 25 novembre 1375, le chantier est en pleine activité car deux spécialistes venus du pays de Foix (Pierre Terrée et Blaise Audoin), en présence de Sicard de Lordat (un autre Fuxéen dirigeant les constructions militaires de Fébus), du maître charpentier Pierre Doat, s’engagèrent à installer des fours pour y cuire 100 000 briques par an. Un mois plus tard, le 28 décembre, trois commissaires du comte eurent mission de pousser les travaux « à Morlàas et Montaner ». En effet, Montaner fonctionnait en même temps que de nombreux autres chantiers.
En 1379, des serfs furent dispensés de corvées contre des versements en argent dont le produit fut affecté aux travaux de Montaner. Vers la fin de cette année, l’achèvement du donjon était en vue, et probablement aussi l’ossature des bâtiments à l’intérieur de l’enceinte : le 6 décembre, quatre-vingt-huit charpentiers s’engagèrent à fournir toutes les pièces de bois nécessaires, taillées, avec leurs ferrures, à les poser, à recouvrir les charpentes du toit de lauzes livrées sur place par le vicomte ; tout devait être achevé à la Toussaint 1380. Fébus était d’ailleurs venu sur le chantier en décembre 1379 et pouvait considérer sa nouvelle forteresse comme opérationnelle. Bien entendu, tout était loin d’être achevé quand Sicard de Lordat, puis Fébus disparurent.
La Bigorre vivait déjà sous le contrôle de la redoutable place d’armes depuis 1378. Quelques faits prouvent l’efficacité de cette base d’opérations. Attribuée à l’Angleterre par le traité de Brétigny (1360), la Bigorre avait vu s’installer des garnisons anglo-gasconnes dont la plus puissante était celle de Lourdes.
En 1377 le duc d’Anjou, lieutenant de Charles V qui avait entrepris la reconquête des territoires perdus après la bataille de Poitiers essayait, en vain, d’assiéger Lourdes et se retirait après une paix de compromis ménagée par Fébus. A partir de 1378, la garnison de Lourdes passe en fait sous le contrôle du seigneur de Béarn. Prise comme dans un étau, entre Lourdes et Montaner, la Bigorre est désormais une proie facile : entre 1379 et 1380, toutes les communautés bigourdanes acceptent les unes après les autres la présence de garnisons « protectrices » envoyées par le comte de Foix. Montaner avant même son achèvement total avait assuré la main-mise sur la Bigorre ; il permit aussi de bloquer toutes les contre-attaques tentées par les comtes d’Armagnac. La situation changea profondément après la mort de Fébus